En 2011, Google décide d’imposer la création d’un profil Google+ pour accéder à certains de ses services. Malgré l’intégration forcée et les ressources déployées, la plateforme ne parvient jamais à rivaliser avec ses concurrents directs.
Le 2 avril 2019, Google ferme définitivement Google+, invoquant notamment des failles de sécurité et une adoption jugée insuffisante. Cette disparition met fin à l’une des tentatives les plus ambitieuses de diversification du géant américain.
Plan de l'article
Google+, un projet ambitieux au cœur de la stratégie de Google
Lorsqu’en 2011, Google annonce l’arrivée de Google+, le ton est donné : il faut s’inviter à la table des grands et ne rien laisser au hasard. La mission est claire : s’imposer face à Facebook et devenir le nouveau pivot du web social. Derrière ce lancement, la volonté d’Éric Schmidt, Larry Page et Sergey Brin de créer un réseau social fusionné à l’écosystème Google, pour capter toute l’attention des internautes là où ils interagissent, partagent, débattent.
Ce n’est pas un simple site de plus dans la galaxie Google. Google+ visait à réunir tous les outils phares de la firme sous une bannière commune. Gmail, YouTube, Google Maps, Google Drive : tout est branché à la plateforme sociale, parfois sans demander l’avis des utilisateurs. Cette démarche offre à Google une exposition hors normes, mais déclenche aussi des critiques. Beaucoup se sont sentis piégés dans un univers fermé, où chaque nouveau service exigeait son profil Google+.
Les moyens mis en œuvre sont à la hauteur de l’enjeu : plusieurs milliards de dollars investis, des équipes sur tous les continents, un pilotage serré depuis le sommet du groupe. Alphabet, la maison mère, place Google+ sur le devant de la scène. Pourtant, malgré l’énergie déployée, Eric Schmidt finira par reconnaître sa part de responsabilité dans ce revers social.
Google+ n’était pas un essai timide. Il devait bouleverser la logique même du Google web, en ajoutant la dimension sociale à la recherche et à la publicité. Google n’espérait plus seulement indexer la conversation mondiale : il voulait en être le théâtre. Il fallait effacer le souvenir de Google Buzz et combler le retard sur les géants déjà installés.
Google+ n’entrait pas dans le moule des réseaux sociaux classiques. Dès le départ, la plateforme affiche sa différence : elle veut offrir une maîtrise totale sur la façon de gérer ses contacts et ses partages. Le concept des Cercles, signature maison, permet de répartir ses relations en groupes distincts, bien au-delà des listes d’amis traditionnelles. Chacun peut décider précisément qui voit quoi, rendant la diffusion sélective bien plus simple qu’ailleurs.
Autre innovation : les Hangouts. Ce service de chat vidéo ouvre la voie à la visioconférence simple, tant pour les discussions privées que pour le travail collaboratif. Jusqu’à dix personnes peuvent se retrouver en direct, à une époque où la visioconférence restait encore marginale. En plus, la fonction Sparks propose un moteur de suggestions, pour encourager la découverte et l’échange de contenus selon les centres d’intérêt de chacun.
Voici un résumé des fonctionnalités qui distinguaient Google+ :
- Gestion affinée des contacts grâce aux Cercles
- Vidéoconférence collaborative avec Hangouts
- Découverte personnalisée de contenus via Sparks
Mais l’ambition de Google+ ne s’arrêtait pas à ses propres murs. L’entreprise pousse l’intégration avec ses services historiques, de Gmail à YouTube, en passant par Google Drive et Maps. L’idée : faire de Google+ le centre névralgique de tous les usages. En 2014, la plateforme affiche 540 millions de membres, mais la plupart de ces comptes ont été créés de façon automatique, faussant la réalité de l’engagement. En 2015, seuls 111 millions d’utilisateurs réellement actifs chaque mois sont comptabilisés, loin derrière un Facebook qui approche alors les 1,6 milliard d’usagers.
Comprendre les raisons de la disparition de Google+
Au fil des mois, Google+ s’enfonce dans une impasse. Plusieurs faiblesses structurelles s’accumulent, amplifiées par une série de crises de confiance. Le constat est sans appel : le manque d’engagement saute aux yeux. Selon des données internes, 90 % des sessions ne dépassaient pas cinq secondes. Pour un groupe habitué à dominer chaque segment, le camouflet est cinglant. Jamais Google+ n’a su s’imposer face à Facebook ou Twitter, même en étant lié de force à Gmail, YouTube ou Google Maps.
La défiance s’accentue lorsque la sécurité des données personnelles entre en jeu. Entre 2015 et mars 2018, une faille dans l’API Google+ expose les informations de 500 000 comptes à des développeurs tiers. Le problème ne sera rendu public qu’en octobre 2018, après une enquête du Wall Street Journal. Les équipes de Sundar Pichai avaient choisi de ne pas prévenir les utilisateurs, pour éviter un scandale du type Cambridge Analytica. Mais la période a changé : le RGPD exige désormais la transparence et la notification rapide des failles.
Les principaux points faibles de Google+ peuvent être résumés ainsi :
- Engagement utilisateur quasi inexistant
- Fuite de données personnelles non signalée
- Renforcement de la régulation, notamment avec le RGPD
En octobre 2018, Google annonce la fermeture du service pour le grand public ; la coupure interviendra à l’été 2019. Depuis, Google+ existe toujours, mais dans une version réservée aux entreprises, loin, très loin, de l’ambition initiale de rivaliser avec Facebook à grande échelle.
L’héritage de Google+ sur l’écosystème des réseaux sociaux
Google+ n’a pas disparu sans laisser de traces. Certes, la firme de Mountain View n’a pas réussi à déloger Facebook, mais son passage a marqué l’évolution des réseaux sociaux. Sa conception de la gestion des contacts et de la confidentialité a inspiré nombre de concurrents. Le principe des Cercles, avec ses options de partage ciblé, a semé des idées chez d’autres plateformes, soucieuses d’offrir des outils plus nuancés à leurs utilisateurs.
La plateforme a également servi de terrain d’essai pour l’intégration profonde des services Google : Drive, Maps, YouTube, Gmail… L’idée d’unifier différents outils autour d’un profil unique a ouvert la voie aux débats actuels sur la centralisation des identités numériques. Même après sa fermeture au public, Google+ continue de vivre dans l’univers professionnel, sous les noms de Google Currents puis Google Spaces, avec une vocation centrée sur la collaboration et le partage en interne.
Le parcours accidenté de Google+ a aussi donné matière à réflexion aux géants du numérique. On ne s’impose pas sur le terrain social à coups de millions, ni même grâce à la notoriété. L’attachement des utilisateurs à des expériences authentiques et des interfaces intuitives reste déterminant. Les tentatives d’intégration forcée, notamment avec YouTube, ont fini par servir d’avertissement pour tous ceux qui rêvent d’écosystèmes totalement verrouillés.
À sa manière, Google+ a influencé la façon dont on conçoit aujourd’hui la confidentialité, l’interopérabilité et l’expérience utilisateur sur les réseaux sociaux. L’histoire du réseau social de Google reste gravée dans la mémoire du web : celle d’un géant qui a su façonner le débat, sans jamais parvenir à fédérer la foule.